La première croisade est un événement historique fondamental, initié à la fin du XIe siècle, sous l’impulsion du pape Urbain II. Cet événement a profondément marqué les relations entre l’Occident chrétien et l’Orient musulman, et a laissé un héritage aussi complexe que durable. Le récit que nous en avons aujourd’hui provient principalement de sources historiques comme l’Historia Hierosolymitana de Foucher de Chartres ou les Gesta Francorum (oeuvre anonyme d’un chevalier du sud de l’Italie), deux récits majeurs qui documentent cette épopée.
Le contexte de l’appel d’Urbain II
Tout commence avec l’appel du pape Urbain II, lors du concile de Clermont, le 28 novembre 1095. Urbain, qui réorganise le rôle de la papauté, prêche la croisade comme une action religieuse et militaire. Il prend cette décision alors que les grands royaumes européens sont affaiblis par des conflits internes ou des querelles avec l’Église : Henri IV, empereur du Saint-Empire, est excommunié, et les rois de France et d’Angleterre ne sont pas en position de mener une telle campagne.
L’appel du pape est clair : il s’adresse aux chevaliers et aux seigneurs de l’Europe, les exhortant à prendre la croix pour défendre la chrétienté. Urbain II déclare : « Je vous prie et exhorte » et souligne la nécessité d’intervenir au plus vite pour secourir les chrétiens d’Orient menacés par les Turcs et les Arabes : « Il est urgent d’apporter en hâte à vos frères d’Orient l’aide si souvent promise et d’une nécessité si pressante ». Ces « frères d’Orient » sont les chrétiens de l’empire byzantin, dont la capitale, Constantinople, est elle-même sous la menace des armées musulmanes. Bien que la croisade soit présentée comme un secours aux Byzantins, le véritable objectif devient rapidement la reconquête des lieux saints, notamment Jérusalem, ce que les récits évoquent peu au début.
Une guerre sainte et un pèlerinage
La première croisade est un phénomène complexe, à la fois guerre sainte et pèlerinage. Urbain II appelle les chevaliers à cesser leurs conflits internes pour diriger leur violence vers un ennemi commun : « Que ceux qui étaient auparavant habitués à combattre méchamment en guerre privée contre les fidèles se battent contre les infidèles ». Il s’agit d’une entreprise à la fois militaire et spirituelle, où les croisés reçoivent la promesse de la rémission de leurs péchés. Le pape offre ainsi une indulgence plénière à ceux qui participent à la croisade : « Si ceux qui iront là-bas perdent leur vie pendant le voyage sur terre ou sur mer ou dans la bataille contre les païens, leurs péchés seront remis en cette heure ».
Les contemporains de l’époque perçoivent la croisade à travers deux prismes. D’une part, c’est une expédition guerrière pour libérer les lieux saints, mais d’autre part, c’est aussi un pèlerinage expiatoire. Les chevaliers qui s’engagent le font pour le salut de leur âme. Urbain II crée ainsi un pont inédit entre la foi et l’action militaire, permettant à la noblesse de ne pas renoncer à sa vocation guerrière tout en obtenant des bénéfices spirituels.
Le départ des croisés et les premières batailles
Le départ officiel est fixé à l’été 1096, mais l’organisation est plus vaste que prévu. Urbain II ne souhaitait qu’une armée, mais ce sont finalement quatre armées distinctes qui se mettent en route. On y retrouve des contingents français, normands, et flamands, chacun sous la direction de figures importantes comme Godefroy de Bouillon ou Raymond IV de Toulouse. Ces armées convergent vers Constantinople, puis continuent leur route à travers l’Asie mineure, en direction de Jérusalem.
Le chemin est parsemé de difficultés : combats contre les Turcs à Nicée (1097), siège d’Antioche (1098), mais aussi des luttes internes. Certains seigneurs, comme Bohémond de Tarente ou Baudouin de Boulogne, en profitent pour établir leurs propres principautés, détournant ainsi partiellement l’objectif initial de la croisade. Baudouin fonde le comté d’Édesse, tandis que Bohémond s’installe à Antioche.
La prise de Jérusalem
Enfin, après trois ans d’un périple éprouvant, les croisés arrivent devant Jérusalem en juin 1099. Le siège de la ville commence le 6 ou 7 juin. Les sources comme celles de Foucher de Chartres décrivent un assaut difficile, marqué par une pénurie de nourriture et d’eau : « Pendant ce siège nous ne pûmes trouver de pain… et nous fûmes en proie à une soif si ardente ». Malgré les difficultés, les croisés persistent et construisent des machines de siège, notamment grâce à l’aide de navires génois, et ils prennent finalement la ville le 15 juillet 1099.
Le récit de la prise de Jérusalem est particulièrement sanglant. Les massacres qui suivent la victoire des croisés sont d’une grande violence : « un tel carnage que les nôtres marchaient dans leur sang jusqu’aux chevilles ». Les habitants musulmans et juifs de Jérusalem sont tués en grand nombre, tandis que les croisés pillent la ville et ses richesses, en dépit des exhortations d’Urbain II à combattre uniquement pour le salut de leur âme.
Conséquences de la croisade
Après la prise de Jérusalem, Godefroy de Bouillon est élu « avoué du Saint-Sépulcre » et le royaume de Jérusalem est créé. Cette victoire militaire et spirituelle marque la fin de la première croisade, mais elle inaugure aussi une nouvelle ère de conflits dans la région. Les relations entre les croisés francs et les musulmans, ainsi que l’Empire byzantin, restent tendues. Jérusalem devient le centre du nouveau royaume chrétien, mais pour combien de temps ? La Palestine sera de nouveau rattachée aux Fatimides quelques décennies plus tard, et les luttes pour le contrôle des lieux saints se poursuivront pendant plusieurs siècles.
Conclusion
La première croisade, telle que définie par le pape Urbain II, fut un pèlerinage en armes, une entreprise à la fois religieuse et militaire. Elle donna naissance à un royaume chrétien en Orient et réorganisa temporairement le rapport de force entre l’Occident chrétien et l’Orient musulman. Cependant, les massacres et les pillages qui ont suivi la prise de Jérusalem laissent une trace indélébile sur cet événement historique, souvent perçu comme une croisade spirituelle dévoyée par les ambitions matérielles et politiques des croisés.
Cet épisode, où se mêlent violence, foi, et pouvoir, est un moment fondateur de l’histoire des croisades, un phénomène qui allait profondément bouleverser le Moyen-Orient et les relations entre l’Europe chrétienne et le monde musulman.
Bibliographie sommaire
- ALPHANDERY (P.), DUPONT (A.), La chrétienté et l’idée de croisade. La première croisade, 2 vol., Paris, 1954-1959 ;
- DELARUELLE (E), L’idée de croisade au Moyen Age, Turin, 1980 ;
- DELORT (R.) (sous la direction de), Les croisades, Paris, 1988