L’onction royale de Pépin le Bref : une transformation majeure de la royauté

La montée de Pépin le Bref sur le trône des Francs en 751 est bien plus qu’un simple changement de dynastie. Cet événement marque un tournant majeur dans l’histoire de la monarchie franque, car il introduit pour la première fois un nouveau principe de légitimité royale fondé sur l’approbation religieuse et non plus uniquement sur l’hérédité ou la force militaire. Ce contenu s’appuie notamment sur des récits historiques tirés de la Clausula de unctione Pippini regis, un texte rédigé en 767 qui relate la cérémonie du sacre de Pépin, et qui constitue une source clé pour comprendre cet événement​.

Le contexte du sacre de 751

La rupture dynastique avec les Mérovingiens

Pépin, fils de Charles Martel et issu de la dynastie carolingienne, ne possède pas le sang sacré des Mérovingiens, une dynastie qui règne depuis plus de deux siècles sur le royaume des Francs. Pourtant, en 751, il décide de déposer Childéric III, le dernier roi mérovingien. Cet acte, qui peut être vu comme une usurpation, nécessite une légitimation forte pour éviter les révoltes et s’assurer le soutien des élites du royaume. Comme le mentionne le texte original, Pépin « fut élevé sur le trône royal par l’élection de tous les Francs et oint par les évêques des Gaules »​.

Pépin le Bref, imaginé par Louis-Félix Amiel au XIXe siècle

L’appui moral de l’Église

La stratégie de Pépin consiste à obtenir le soutien de l’Église pour renforcer sa légitimité. En 750, il envoie des émissaires auprès du pape Zacharie avec une question cruciale : « Est-il bon ou mauvais qu’un roi qui n’exerce pas le pouvoir continue de régner ? » La réponse du pape est claire : « Il vaut mieux que celui qui détient le pouvoir soit roi »​. Fort de cette caution morale, Pépin organise son élection selon la coutume franque en novembre 751 à Soissons, suivie d’une cérémonie inédite pour les Francs : le sacre royal. C’est ainsi qu’il « fut élevé sur le trône royal… par l’onction du saint chrême de la main des bienheureux évêques des Gaules »​.

Le sacre de 751 : un geste religieux et politique

L’élection de Pépin par les Francs

L’élection de Pépin par les grands du royaume en 751 se déroule selon la coutume franque : les nobles le portent sur le bouclier et l’acclament roi, ce qui consacre une rupture nette avec la dynastie mérovingienne. Cette élection, bien que nécessaire, ne suffit pas à légitimer pleinement son pouvoir. Pépin introduit alors un élément nouveau dans la monarchie franque : le sacre.

L’introduction du sacre : un nouveau principe de légitimité

La cérémonie du sacre, comprenant l’onction de Pépin avec le saint chrême par les évêques des Gaules, est un acte sans précédent en Gaule. Ce rite, inspiré des rois de l’Ancien Testament comme Saül et David​, ainsi que des pratiques wisigothiques en Espagne​, fait de Pépin un roi sacré, choisi par Dieu. L’onction place Pépin au-dessus des autres hommes et assoit son pouvoir en introduisant un nouveau principe de légitimité : il devient l’élu de Dieu. « Pépin n’est plus seulement un chef de guerre… il devient un autre homme revêtu d’une vertu sacrée à l’image des rois juifs »​.

La confirmation pontificale en 754

Le sacre pontifical d’Étienne II

Trois ans après son premier sacre, en 754, Pépin reçoit une seconde onction, cette fois des mains du pape Étienne II, venu en personne en Gaule. Ce sacre pontifical renforce considérablement la légitimité de Pépin, qui est désormais consacré par le représentant de Dieu sur terre. « De la main du très bienheureux seigneur pape Étienne, il fut… oint et béni comme roi et patrice »​. En le sacrant patrice des Romains, le pape confère à Pépin un rôle protecteur envers l’Église.

Le contexte politique : la lutte contre les Lombards

Le sacre de 754 n’est pas seulement un acte religieux ; il a une dimension politique majeure. À cette époque, Rome est menacée par les Lombards, et le pape Étienne II cherche désespérément une aide militaire. En sacrant Pépin, il obtient l’engagement du roi franc de défendre Rome contre ses adversaires. Ce pacte scelle une alliance durable entre la monarchie carolingienne et la papauté, alliance qui marquera l’histoire de l’Europe médiévale.

Le sacre des fils de Pépin : une dynastie sanctifiée

L’affirmation de la dynastie carolingienne

Le sacre de 754 ne concerne pas seulement Pépin, mais aussi ses deux fils, Charles (le futur Charlemagne) et Carloman. En les sacrant aux côtés de leur père, Étienne II consacre la dimension dynastique du pouvoir carolingien. « Charles et Carloman furent à l’aide du saint chrême consacrés rois avec leur susdit père »​. Désormais, le pouvoir royal n’est plus soumis aux aléas des élections des grands du royaume, mais devient héréditaire et sanctifié par l’Église.

Le rôle de la reine Bertrade

Dans cette même cérémonie, la reine Bertrade, épouse de Pépin, reçoit également la bénédiction du pape. Ce geste renforce son autorité, notamment en cas de régence, et assure que l’ensemble de la famille royale est investie d’une mission divine. La bénédiction confère à Bertrade un statut particulier, la rendant elle aussi partie prenante de la légitimité sacrée de la dynastie carolingienne, notamment en cas de régence. « La très noble… Bertrade… reçut la grâce de l’Esprit Septiforme par la bénédiction du susdit vénérable pontife »​.

Conclusion

Les sacres de Pépin le Bref en 751 et 754 représentent une transformation radicale de la conception de la monarchie franque. En introduisant l’onction sacrée, Pépin dépasse le simple cadre politique pour devenir un roi « élu de Dieu », renforçant ainsi une légitimité indiscutable. Ce nouveau modèle monarchique, où le roi est sanctifié par l’Église, permet à Pépin de fonder une dynastie durablement ancrée dans la tradition chrétienne. Le sacre de 754, en particulier, scelle une alliance indéfectible entre la royauté carolingienne et la papauté, une relation qui façonnera le destin de l’Europe médiévale.

Bibliographie sommaire

  • BAUTIER (R.-H.),  » Sacres et couronnements sous les Carolingiens et les premiers Capétiens. Recherches sur la genèse du sacre royal français « , dans Annuaire-Bulletin de la Société de l’Histoire de France, Paris, 1989 ;
  • DEVISSE (J.),  » Le sacre et le pouvoir avant les Carolingiens, l’héritage wisigothique « , dans Le sacre des rois. Actes du colloque international d’histoire sur les sacres et couronnements royaux (Reims, 1975), Paris, 1985, p. 27-38 ;
  • LEVILLAIN (L.),  » L’avènement de la dynastie carolingienne et les origines de l’Etat pontifical (749-757) « , BEC, 94 (1933), p. 225-295 ;
  • STOCLET (A.-J.),  » La Clausula de unctione Pippini regis : mises au point et nouvelles hypothèses « , Francia, 8 (1980), p. 1-42.

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